mardi 30 décembre 2008

Pour en finir avec le journalisme citoyen

Quatre années après sa naissance, il est temps de clore le débat sur le "journalisme citoyen" à la sauce 2.0. Pour mieux aborder les opportunités naissantes du témoignage participatif.

Mal forgée, mal interprétée, l'expression "journalisme citoyen" a biaisé d'emblée les termes de la discussion.

En avançant l'idée que "si tout le monde devient journaliste (avec le web 2.0, les blogs, la généralisation des appareils photos, caméras numériques et caméraphones) , il n'y a plus de journalisme", la profession a voulu se faire peur.

Les UGC (User-generated content), ou contenus auto-édités numériques, furent d'emblée perçus comme un risque par les journalistes:

- un risque pour le modèle économique de la presse (l'offre gratuite et abondante des infos amateurs submergerait l'offre traditionnelle des professionnels)

- un risque pour la fiabilité des informations ("l'amateur, ce bidonneur ")

- un risque pour l'équilibre du traitement de l'information (des lobbies s'emparant de ce nouvel outil), entraînant un un nivellement des valeurs, un relativisme échevelé, dans un brouhaha d'enfer.

- un risque pour la qualité des infos, du récit (la fin des canards, donc des plumes)

- un risque pour la vie privée (tous paparazzi, ou le syndrome Big Brother).

Pour de nombreux journalistes, l'intérêt de voir le public entrer dans la danse de l'info s'est révélé non seulement faible, mais dangereux. L'apport? souvent considéré comme marginal.

Noyé dans les flots d'encre d'un tempétueux débat, le "journaliste citoyen" serait-il déjà en train de sombrer?

Peut-être sous cette appellation. Mais c'est pour mieux donner naissance à une autre espèce, le "témoin d'événements", ou témoin tout court, un témoin participant à l'élaboration de l'information (ok, "journaliste citoyen" sonnait bien, trouvons mieux :) ).

Avec le journaliste citoyen, Mr Tout-le-monde devenait un professionnel. Ce qui incluait un travail en amont (la recherche d'un angle, la sélection et vérification des sources) et en aval (l'édition). Un métier, en somme.

A-t-on voulu voir dans cette figure-épouvantail du journaliste citoyen quelqu'un capable de réaliser une enquête au long cours sur des sujets nationaux, voire internationaux?

En accréditant cette idée du "tous journalistes", on allait au-devant d'une déception certaine.

Pour Alain Le Diberder, auteur d'un excellent article à ce sujet dans Culture Web ( sous la direction de Xavier Greffe, Nathalie Sonnac, Dalloz 2008), "le syllogisme subliminal est bien le suivant: Internet égale tout le monde auteur. Tout le monde égale madame Michu. Madame Michu est nulle. Donc Internet est nul."

Parler tout simplement de "témoins" (participant à la production et diffusion d'informations) pourrait dépassionner le débat, et faire mieux saisir à la presse toutes les opportunités du phénomène. Un phénomène dont l'histoire des médias ne fait encore qu'aborder le premier chapitre.

Ce témoin ne sera pas "tout le monde", mais appartiendra toujours une minorité.

Celle qui a envie de porter son témoignage à la connaissance de tous, qui connaît les outils, services, sites appropriés, qui a le réflexe d'agir au quotidien.

"Le cercle des initiés s'élargit: il passe d'une infime minorité à une petite minorité, écrit Alain Le Diberder dans Culture Web. (...) La production de contenus auto-édités numériques est en effet massive par rapport aux contenus classiques, mais elle reste le fait d'une toute petite minorité des internautes: 0,6% pour la photographie, 0,7% pour l'encyclopédie" (wikipedia).


Le témoin :

- tombe par hasard sur un événement qui va faire l'actualité (une vague géante)



- ou désire témoigner sur un événement qu'il est en train de vivre (une manifestation)

- peut se révéler un expert dans un domaine précis (un avocat parlant d'audiences vécues, c'est toute la force et le succès d'un site comme Rue89). L'UGC, terme flou, gagne à être décliné: lire cette intéressante typologie.

- dispose d'outils pour communiquer et connaît les sites qui pourront héberger son témoignage.

- peut commenter, préciser, vérifier des infos fournies par d'autres professionnels ou d'autres témoins.

- Le témoin participant, aussi qualifié soit-il, n'est donc un professionnel de l'info. On n'a jamais vu une rédaction envoyer ses reporters à chaque coin de rue pour attendre qu'un événement se produise. Il ne menace pas le métier de journaliste.
Ce que dit le témoin n'est pas de l'information, mais peut le devenir si on (il faudra se mettre d'accord sur la définition de ce "on": les journalistes seuls?) a recoupé, vérifié, édité le matériau brut.

- Le témoin pourra être rémunéré, mais nous parlons de compléments de revenu, pas d'une activité principale. Imaginons le cas (c'est arrivé) où un média revende à un autre média une vidéo envoyée par un amateur: il semble logique de rémunérer l'auteur (son document a bien une valeur).

Le témoignage participatif, au coeur du journalisme participatif, ne remplacera pas le journalisme traditionnel, mais en composera une nouvelle branche.

Le témoin pourra jouer plusieurs rôles, et apporter beaucoup à une rédaction :


- Alerter.

- Apporter des informations et une mutitplicité de points de vue (texte, photos, vidéos), rapidement, dans un espace médiatique non-limité et accessible pendant longtemps, comme l'avait déjà noté dès 2006 André Gunthert, pendant l'occupation de l'EHESS (PDF).

- Mailler plus finement une zone géographique en temps réel (par exemple pour couvrir une inondation, où de nombreuses zones sont difficilement accessibles aux reporters).

- coproduire l'info, mais aussi la "cofiltrer", comme l'écrit Jeff Mignon: le témoin direct sera une source d'info parmi d'autres (amis, pros, experts...).

- Commenter, apporter des précisions, voire vérifier les informations déjà produites par les professionnels ou la communauté. Toutes les dernières imprécisions, erreurs (de date, de lieu) et bidonnages ont été repérés par des communautés de spécialistes.

- Permettre de dénicher des angles inédits. Voir ses retours d'expériences de journalistes britanniques de la chaîne Sky et de la BBC.

- Trouver d'autres témoins dans ses réseaux sur un événement ou un angle précis.

- Fidéliser une communauté autour d'un titre, d'un site, bref d'une marque média (où je vais retrouver des infos de professionnels mais aussi de passionnés, de connaisseurs).

Revenons sur deux points intéressants:

- L'alerte. Il est tentant de penser qu'avec des outils comme Twitter (puis d'autres), l'information "chaude" viendra plus souvent des témoins, tout comme le suivi immédiat (le crash d'un avion raconté par un passager). Il faudra utiliser ces nouveaux réseaux sociaux à bon escient, en vérifiant et identifiant les sources, en séparant le brouhaha de la discussion du signal d'alerte et des infos intéressantes.

Si une source de tweets ne fait pas forcément de bons témoignages participatifs
, Twitter s'annonce comme une source de sources (selon la belle expression du journaliste Philippe Couve) à ne pas négliger.

"Il ne s'agit pas de remplacer l'info des agences par Twitter ou Flickr (la plateforme de photos), mais de les exploiter intelligemment, et de former les journalistes à les appréhender", remarque Benoît Raphaël.

Pourquoi les alertes provenant des témoins vont-elles se multiplier?

L'internet mobile version iPhone vient tout juste de naître. De nouvelles applications permettront d'envoyer et de recevoir plus facilement des photos/vidéos. L'apparition d'applications mêlant GPS + signature numérique s'avère prometteuse pour vérifier ces photos/vidéos uploadées depuis le mobile.

Le processus d'envoi reste encore compliqué: il faut transférer les photos sur un PC, s'inscrire sur un site, remplir des champs, charger les photos. Le témoignage participatif version web mobile n'est qu'à la première page du premier chapitre de son histoire. La culture de l'upload est surtout répandue chez les digital natives.

Hier, il était pénible, voire impossible d'envoyer une vidéo depuis son mobile: aujourd'hui c'est la diffusion en direct qui s'annonce à portée de tous.


- Le maillage du territoire.
L'hyper-local, vu comme une longue traîne géographique, c'est peut-être le paradis du témoignage participatif.

Comment mieux couvrir une tempête de neige, sur une zone, qu'en se retrouvant sur une même plateforme, pour échanger ses témoignages?

Combien d'équipes de reporters pour atteindre ce degré de couverture?

Alors que le 7 janvier, la neige tombait à gros flocons sur le sud de l'hexagone, Citizenside (la plateforme participative à laquelle je collabore) a reçu en quelques heures plus de 75 photos pour la seule ville de Marseille, et des vidéos saisissantes.


Comment mieux couvrir certaines zones de guerre, là où les professionnels de l'info sont peu présents (je pense à cet efficace outil pour couvrir la crise au Congo, Ushaïdi)?

Le maillage du territoire par des amateurs ne date pas d'hier, remarque Jeff Mignon: le correspondant local remplit depuis longtemps cette fonction...et remplit 80% des pages de la presse quotidienne régionale, contre une rémunération (modique), et la satisfaction d'écrire pour le journal. Réinventer le rôle du correspondant local devrait être une priorité de la PQR.


Conclusion:

- Si certains enterrent le journalisme citoyen, le témoignage participatif a le vent en poupe.

Comme le rappelle Marie-Catherine Beuth,
l'une des tendances fortes en 2008 pour les cent premiers sites de médias américains (rapport en PDF) fut l'ouverture aux photos amateurs - la majorité des sites accueillant désormais des contributions de leur communauté. Pour la vidéo amateur, seuls 18% des sites aux USA disposent d'un espace dédié: la marge de progression reste importante.

Le succès fulgurant en terme d'audience du Post.fr ne s'explique-t-il pas aussi par le degré d'ouverture à la participation du public? La réussite d'un gratuit sur le web comme 20minutes.fr, n'est-il pas dû , aussi, à l'espace laissé à ses lecteurs, pour notamment envoyer des infos/photos?

Un autre exemple: l'essor d'iReport.com, la plateforme participative de CNN. Grâce à des appels à témoignages très nombreux lancés sur la chaîne, plus de 225 000 contributions photos/vidéos ont été reçues depuis le lancement en février 2008, et restent accessibles sur le site.

Environ 1 000 par mois sont diffusées à l'antenne. Ce qui permet à CNN de faire remonter des informations locales, comme lors d'une tempête de neige, où les équipes ne peuvent pas forcément accéder.

CNN USA (qu'on peut regarder via Blinkx Beat) diffuse chaque jour à l'antenne les contributions du jour, interviewe ses membres par téléphone, qui commentent leurs images.




- Le défi sera d'intégrer intelligemment le témoignage participatif dans le journalisme participatif, lui-même une branche (pas la seule) du journalisme en général.

Il faut pour cela réinventer le métier de médiateur, les profils des postes (animateur de communauté, PDF sur les "compétences du futur"), former les autres, comme l'imagine Jeff Jarvis, se former à de nouveaux outils, créer ceux qui n'existent pas encore pour mieux communiquer avec sa communauté (et que la communauté puisse elle-même mieux communiquer).

Ouvrir son espace aux commentaires, aux témoignages, sons, écrits, photos et vidéos. Enfin, descendre de son piédestal, pour amorcer le dialogue avec le public (il ne s'agit pas d'un scoop: ces derniers points, et d'autres abordés ici, ont déjà fait l'objet d'une prose abondante).

Info transparence: je suis le rédacteur en chef de Citizenside.com, plateforme d'échange et de vente de photos et vidéos amateurs d'actualité.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

Bravo Aurélien. Il faut que tout le monde lise ton billet, l'imprime et se le grave dans la tête. Tu as parfaitement clarifié et redéfini le débat. "Témoignage participatif" est infiniment plus adapté que "journalisme citoyen". J'espère que cela fera date.

Aurélien Viers a dit…

Merci François, c'est très sympa, j'ai écrit ça car les nombreuses conférences-débats tournant autour du "tous journalistes" commençaient à tourner sérieusement en rond.

En même temps,c'était un bon argument pour les professionnels: "vous voyez bien que ça ne marche pas!", et rideau. On n'est bien au début de l'histoire et pas à la fin.

"Témoignage participatif", c'est mieux et c'est clair, mais "témoin participant", c'est affreux, il faut trouver mieux :)

Anonyme a dit…

Je tiens à me porter à la défense de «l'amateur». Je ne suis pas d'accord avec l'idée que tous les journalistes citoyens se reconnaissent comme des professionnels.

«Amateur» vient du latin «amator» qui signifie «celui qui aime», de amare (Aimer). Un amateur est donc une «personne qui aime, cultive, recherche (certaines choses, certaines activités)». (Le grand Robert de la langue française).

Personnellement, je me considère comme un amateur. Je n'ai pas de diplôme en journalisme qui pourrait me conférer le titre de professionnel. Mais cela ne m'a pas empêché d'écrire des articles, des reportages, des dossiers, des chroniques et même des éditoriaux pour plusieurs médias reconnus depuis mon adolescence.

À mon avis, le journaliste citoyen demeure un amateur. Et je n'y vois rien de péjoratif, au contraire. L'amateur agit ici à titre de citoyen concerné. Il vient en quelque sorte contrebalancer le silence de tous les autres.

Le journaliste citoyen est aussi utile que l'est l'amateur de vin. Et je n'ai pas entendu ni l'un ni l'autre prétendre être des professionnels.

Dans notre société, les professionnels et leurs corporations occupent presque toute la place. Dès qu'un amateur se pointe, ils le dévalorisent. Plier sous la pression en acceptant de changer le titre de l'amateur, de journaliste citoyen à témoin participatif, c'est jouer le jeu de ceux et celles qui contrôlent l'information et qui cherchent à sauver leurs emplois par tous les moyens face à l'internet où l'amateur pratique son loisir.

Il y a dans le terme «journaliste citoyen» un exercice de démocratisation des sources d'information, résultante directe de l'accès à Internet. Le journaliste citoyen n'est pas un témoin participatif, il est un acteur. C'est le journaliste professionnel qui devrait être un témoin, c'est-à-dire impartial, sans partie pris. Malheureusement, le journaliste professionnel participe un peu trop aux événements à mon goût. Il s'est éloigné de la catharsis intellectuelle nécessaire à son impartialité.

Le journaliste professionnel nous offre une fausse représentation du monde parce qu'il affuble les vérités de faits de différentes opinions dont le choix l'éloigne d'emblée de l'objectivité.

Le journaliste citoyen ne prétend pas à cette objectivité déontologique professionnelle. Il prend tout simplement la parole. Et s'il témoigne, c'est uniquement pour illustrer son propos.

Enfin, qui a dit que tout le monde ou n'importe qui pouvait désormais être journaliste citoyen ? C'est une conclusion erronée tirée de l'invitation populaire des médias citoyens. Ces derniers invitent bel et bien tout un chacun à soumettre des textes. Comme je peux inviter tout le monde à écrire un livre, à devenir amateur de jardinage, amateur de gastronomie, etc. L'invitation générale est lancée pour souci de démocratie et c'est bien ainsi car elle encourage les uns et les autres à avoir confiance en eux si le journalisme les intéresse. Or, d'une part, tout le monde ne s'intéresse pas au journalisme et, d'autre part, ceux et celles qui s'y intéressent ne prétendre pas d'emblée être des professionnels. Ce sont les médias professionnels qui ont fait le rapprochement entre «journalisme citoyen» et «professionnel» venant une fois de plus fausser la perception de la population.

Au plaisir,

Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys

TÉLÉPHONE
450-933-2392 (Laval, Québec, Canada)

ADRESSE POSTALE
Fondation littéraire Fleur de Lys,
259 rue de Clairvaux,
Laval,
Québec.
H7N 5K2

ADRESSE ÉLECTRONIQUE
contact@manuscritdepot.com

SITE INTERNET
http://www.manuscritdepot.com

Aurélien Viers a dit…

@Serge-André Guay:

Merci pour ce commentaire argumenté et très intéressant. Je vais essayer de répondre point par point.

"Je ne suis pas d'accord avec l'idée que tous les journalistes citoyens se reconnaissent comme des professionnels." Je parle de la perception des professionnels par rapport aux amateurs. En les appelant "journaliste citoyen", les détenteurs de carte de presse ont clairement pu penser qu'on s'attaquait frontalement à leur profession, que des contributions amateurs et gratuites allaient submerger leur travail.

Personnellement, je trouve géniale la possibilité que tout un chacun puisse alerter, témoigner sur un fait précis, et faire entendre sa voix.

Etre amateur, "cela ne m'a pas empêché d'écrire des articles, des reportages, des dossiers, des chroniques et même des éditoriaux pour plusieurs médias reconnus depuis mon adolescence."

C'est tout à votre honneur, d'être un citoyen s'intéressant à l'actualité et d'y participer. Mais combien d'autres font la même chose que vous? Vous en connaissez beaucoup, des "amateurs", qui cherchent des sujets originaux, démarchent des publications, rédigent des articles, et sont publiés? Le fait même qu'avec un blog vous puissiez le faire vous même, c'est un révolution. En passant de cette infime minorité à une petite minorité, la production amateur devient massive (mais on ne parle pas de 100% de la population).

Pour moi l'amateur n'est justement pas un risque mais une chance, car il offre une multiplicité de points de vue et peut alerter, témoigner sur des faits non-connus du public. J'essaie juste de dire qu'il ne s'agit pas de "tout le monde" mais de témoins "qualifiés", "éclairés" comme vous.

- Prenons un amateur de vin et le monde des médias. Il ne menace personne, bien entendu. Prenons tous les amateurs de vin du Canada. Combien vont vouloir ouvrir un blog sur le vin, laisser des commentaires sur les sites d'oenologie? Pas 100% d'entre eux. Plutôt 1%.

- "Plier sous la pression en acceptant de changer le titre de l'amateur, de journaliste citoyen à témoin participatif, c'est jouer le jeu de ceux et celles qui contrôlent l'information et qui cherchent à sauver leurs emplois par tous les moyens". J'écris le contraire. Je pense que le journaliste citoyen ne menace pas la presse, car il reste un amateur, certes, et que son rôle ne remplace pas celui d'une rédaction. Mais l'existence et la généralisation de nouveaux réseaux obligent (et c'est tant mieux) les journalistes à composer, dialoguer avec les citoyens désireux de témoigner pour faire avancer l'info. Faire ce travail de dialogue, de coproduction de l'info créera de nouveaux postes, comme je l'indique à la fin de mon billet.

Encore une fois, le terme de "témoin participant" n'est pas du tout dévalorisant, bien au contraire, il clarifie juste la situation.

- "Le journaliste citoyen n'est pas un témoin participatif, il est un acteur". Acteur, dans quel sens? Il a clairement un rôle à jouer. Je ne vois pas de contradiction.

- "Le journaliste citoyen ne prétend pas à cette objectivité déontologique professionnelle. Il prend tout simplement la parole."
Certes, c'est pourquoi le terme de témoignage est plus clair: il ne s'agit pas d'une analyse, d'un travail de recherche d'angles, de sélection des sources, d'édition le plus souvent, mais simplement quelqu'un qui témoigne d'une situation vécue.

Il y a aussi les experts qui racontent leur éclairage sur des thèmes précis, souvent très intéressants, comme des médecins parlant de la réforme de la santé, des juristes parlant d'une nouvelle loi. Ces EGC - expert generated contents sont aussi l'une des grandes avancées du web 2.0. Ce sont des témoins éclairés de leur temps.

Le journaliste ne peut prétendre à donner "la" vérité mais à effectuer un travail rémunéré de recherche d'angles, de sélection et de vérification. Je ne pense pas que toutes les paroles se valent, mais qu'un travail doit être fait pour distinguer entre ce qui est établi, recoupé les paroles, chercher des infos s'y rapportant pour apporter un récit le plus proche possible des faits. Sinon tout le monde peut monologuer dans son coin, sans contradiction, ce n'est pas très intéressant, et même parfois dangereux.

- "Ce sont les médias professionnels qui ont fait le rapprochement entre «journalisme citoyen» et «professionnel»": vous avez parfaitement raison, c'est pourquoi j'ai écrit ce billet.
Bien cordialement,
Aurélien

Unknown a dit…

Magnifique post, bravo!

Qui me rappelle le slogan de Rue89 (l'information à trois voix: journalistes, experts, internautes). En effet, toute l'idée n'est pas de juxtaposer des articles de journalistes et de citoyens (même si on les appelle "journalistes citoyens", Aurélien a bien raison de remettre en cause cette notion) mais de coproduire une information enrichie et différente.

Donc, je suis 100% d'accord.

Les journalistes sont utiles, plus que jamais, pour vérifier, compléter, mettre en perspective, trier, hiérarchiser... C'est un nouveau partage des rôles qui est en train de se mettre en place.

Peut-être, simplement, le terme de témoin est-il restrictif, puisque la dimension d'expertise, de compétence par rapport au sujet traité (également soulevée par Aurélien), sans être forcément le témoin d'un événement, est aussi très importante dans cette nouvelle répartition.

Laurent Mauriac (cofondateur de Rue89)

Aurélien Viers a dit…

Merci Laurent !

En effet, le terme de journalisme citoyen, plus flou, pouvait englober les experts.

Celui de témoin paraît trop faible pour ces médecins, architectes, juristes, sur lesquels rue89 a eu raison de parier dès le début.

Ou alors au sens large de "témoin éclairé de leur temps". Le témoignage participatif n'est qu'une des composantes du journalisme participatif. Les anglophones ont déjà trouvé l'acronyme EGC, expert-generated contents, pour ces productions pointues.

Alors, que proposer? Expert tout simplement (trop généraliste?), expert participant (un peu novlangue)?, témoin éclairé (un peu trop gourou de secte :) ) ?

Il faut y réfléchir :)
Merci pour ton commentaire constructif !

Stephane MOT a dit…

Tous les journalistes ne sont pas citoyens, tous les citoyens ne sont pas journalistes, et peu de journalistes citoyens méritent le label... parmi les pros comme parmi les amateurs.

Pour ma part, en "qualité" d'auteur, je refuse fondamentalement le statut de journaliste pour assumer librement mes opinions en toute subjectivité.

Votre compartimentation n'est pas si simple. Dans le secteur, il y a une tendance générale à confondre le métier, le media, la plateforme et le contenu. Par ailleurs, à quelque stade que ce soit, toute présentation de faits s'avère subjective.

En réalité, c'est plus une question de contexte. A un moment donné, l'info ou l'analyse la plus pertinente est susceptible d'émerger de n'importe où.

Récemment, un journaliste de la Beeb est intervenu sur l'antenne en qualité de témoin sous les bombardements à Gaza.

Au petit jeu de la compartimentation, le concept d'"Enquêtes Participatives" façon AgoraVox me parait extrême : un "pro" pour synthétiser les contributions, expressément limitées aux seuls faits, de "journalistes citoyens" en réalité réduits au statut de petites mains / search engine bots...

Au petit jeu de la non-compartimentation et de l'ouverture, le Huffington Post a pas mal tiré son épingle du jeu en 2008. Cela reste un modèle assez classique et pas nécessairement pérenne, surtout si le Huff persiste à mettre en avant Arianna.

En France, AgoraVox a longtemps bénéficié de la supériorité technique de sa plateforme, mais refuse toujours d'assumer sérieusement le métier d'éditeur. Rue89 capitalise sur une véritable expertise métier au niveau éditorial, où réside l'essentiel de la valeur... et pour le moment, semble sur une dynamique plus saine.

Anonyme a dit…

Voilà qui pose clairement des opportunités, en particulier pour des rédactions qui ne peuvent réagir rapidement face à une actualité brûlante et pourraient faire appel à des témoins par hasard.

L'expertise de certains blogueurs, qui ne sont pas journalistes par ailleurs, amène aussi un regard neuf dans le traitement de l'information. L'expérience de l'Express.fr à cet égard est un bon exemple :
http://www.lexpress.fr/actualite/3001/articles.asp

Aurélien Viers a dit…

@Stéphane Mot:

Merci, vou sabordez la notion "morale" sous-entendue dans la notion de journalisme citoyen, que je n'ai pas abordée: tout à fait juste que l'acte d'écrire un article pour un journaliste n'est pas forcément un acte citoyen, tout comme le fait de témoigner sur tel ou tel événement ne répond pas non plus de cette logique.

- Vous parlez d'une différence de contexte, et employez l'exemple d'un reporter témoin d'un événement. Mais le reporter est fondamentalement un rapporteur, c'est sa fonction, son job d'être envoyé sur place volontairement pour traiter l'actu, y compris celle qui se passe sous ses yeux. C'est son métier a minima. On entend aussi des témoins sur place, qui sont là par hasard. A noter que pour moi le terme de témoin n'est pas du tout réducteur, j'ai pensé même aux experts comme témoins de leur temps, témoins éclairés. Vouloir apporter son témoignage au plus grand nombre, c'est une démarche essentielle, c'est signifier qu'on s'intéresse à ce qui se passe autour de soi, à la société.

- pour les modèles éditoriaux que vous citez, je ne saurai avancer des prédictions...

Aurélien Viers a dit…

@Enikao: Merci de rappeler l'expérience très intéressante de l'Express.fr, 3001.

Effectivement, le journalisme participatif englobe pour moi à la fois les témoins, les experts (sollicités sur leur champs de compétences pour apporter un éclairage) et les blogueurs.

A voir la réflexion passionnante en cours sur Médiachroniques et Novovision, avec Jeff mignon et Narvic sur les plateformes et réseaux de demain (un réseau de journalistes + blogueurs?).

cotentinois a dit…

Merci Aurélien, ancien correspondant local (secteur de la Hague)à la rédaction de Cherbourg du journal Ouest France, je crois que ton article est d'une grande clairvoyance. Belle analyse.

Anonyme a dit…

Quid de l'expression "reporter amateur" (évoquée ici : http://www.iphon.fr/post/2009/01/27/Citizen-side-%3A-le-journalisme-citoyen-sur-l-iPhone) ? Je la trouve pas mal du tout...

FrédéricLN a dit…

C'est le meilleur article que j'aie lu sur le sujet depuis eh ben toujours, bravo !

(et même si le mot magique est encore à trouver. Témoin est trop restrictif, amateur est en français péjoratif, bénévole laisse supposer un altruisme qui n'est pas requis, etc.)

prestataire informatique madagascar a dit…

en tout cas, vous avez raison. Il est temps de clore ce débat.