mercredi 10 septembre 2008

Vérifier les images amateurs, un nouveau défi pour la presse


Je reproduis ici une tribune, publiée ce soir dans le Monde (je remercie la rédaction au passage) - que j'avais intitulée "Vérifier les images amateurs, un nouveau défi pour la presse". Et qui commençait par cette phrase interrogative: Bientôt 6 milliards de Tintin reporters? Ce papier a été nourri par mon expérience quotidienne de rédacteur en chef chez Citizenside.com .

"Une poignée de chiffres fait tourner la tête des professionnels de l'information. Le discours de Barack Obama, lors de sa visite à Berlin, est visible de 2 000 angles de vues différents sur le site internet de partage de photos Flickr. "Discours d'Obama à Berlin" sur Google vidéo ? Quelque 800 séquences visibles en un clic. Le candidat démocrate à la Maison Blanche n'a pas parlé devant une foule, mais devant une mer de bras levés portant téléphones portables, appareils photo et caméras vidéos.

Chaque minute, le site YouTube reçoit treize heures de vidéos chargées par des particuliers. Flickr a déjà franchi le cap des deux milliards de photos stockées. Près de 90 % des téléphones portables sont désormais équipés d'un appareil photo et 300 millions de clichés seraient pris chaque jour dans le monde.

Dans cette moisson d'images en tout genre, combien d'entre elles apportent une information ? Combien de scoops ? Quelques-uns, assurément. Le 7 juillet 2005, la chaîne de télévision BBC a reçu 300 photos des attentats à Londres, la plupart envoyées directement depuis des téléphones portables. Elles ont permis de comprendre très vite qu'il s'agissait bien d'actes terroristes et non d'une panne de courant. Depuis, le phénomène s'amplifie. Aux Etats-Unis, CNN a reçu 11 000 vidéos l'été 2007, lors des incendies en Californie.

Face à cette révolution, le risque perçu par les médias est double : d'une part une concurrence dans la production d'images d'actualité, d'autre part une crainte de falsification liée à cette nouvelle source d'information. Disons le tout net : les images amateurs ne remplacent pas le travail des journalistes. Mais aucune rédaction ne peut être présente partout et à tous moments. Un reporter est envoyé avec l'aval de sa hiérarchie pour traiter un événement dans un format et selon un angle propres à son média. Pas M. Tout-le-Monde.

Le risque de falsification est, lui, bien réel, depuis l'inexactitude ou le recopiage, jusqu'au trucage ou la manipulation, dans un but de propagande. Ne tombons pas dans la paranoïa. Les milliers de photographes immortalisant le discours d'Obama étaient bien à Berlin. Derrière chaque photographe amateur ne se cache pas forcément un dangereux manipulateur. Pour autant, il est du devoir des journalistes d'affronter ce nouveau défi. Pour devenir une information, le témoignage brut doit être authentifié, édité, remis en perspective : nous sommes au coeur du métier de journaliste. Ignorer l'existence des images amateurs revient à s'exposer sans défense.

Dernier exemple en date : la diffusion au journal télévisé de France 3 Nord - Pas-de-Calais d'une photo de la tornade meurtrière à Hautmont, dans le Nord. Une photo présentée comme prise sur le vif par un particulier, envoyée par courriel à la mairie, et dont l'auteur est resté injoignable. La rédaction a pris le risque de passer le cliché. Mal lui en a pris : la tornade en question avait touché le nord de l'Angleterre il y plus d'un an. La supercherie a vite été découverte par des internautes avisés. Les vérifications éditoriales passent par des moyens traditionnels (analyse des éléments contenus dans l'image, coups de fil au contributeur amateur ou sur les lieux mêmes de l'événement), mais aussi par l'utilisation des moteurs de recherche en ligne permettant de détecter les images recopiées.

Au-delà de Google, de nouveaux outils en cours de développement vont permettre de décrypter plus finement le contenu même de l'image. Des logiciels permettent déjà de détecter la retouche d'images. De même, de nouvelles interfaces doivent être installées au sein des rédactions pour recevoir et traiter les contenus amateurs. Cela nécessitera la création de nouveaux métiers de "chercheur-vérificateur" selon l'expression proposée par le journaliste Alain Joannès, pionnier en ce domaine. Il faudra, enfin, s'appuyer sur le public lui-même. Ce n'est pas un journaliste qui a découvert la duplication de la photo de la tornade d'Hautmont, mais bien des internautes, passionnés de phénomènes météo. De même, l'agence Reuters a découvert la retouche d'une de ses photos d'un bombardement à Beyrouth pendant la dernière guerre avec Israël grâce à une communauté d'utilisateurs de Photoshop.

Faire appel à des non-journalistes, est sans doute l'aspect le plus dérangeant pour des professionnels de l'information. D'autant que cela ne garantit pas totalement l'authenticité d'une image amateur. Mais l'information traitée dans l'urgence n'est jamais fiable à 100 %. Il n'y a pas d'un côté un îlot de terre ferme, et de l'autre une étendue de sables mouvants. Il n'y a que de nouveaux sentiers à défricher."

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Mais la vérification des images est-elle aussi rapide que le nécessite l'immédiateté actuelle du partage de l'information? En effet, combien de temps pour vérifier qu'une photo ou une vidéo sont authentiques quand le JT débute 15 minutes plus tard?

Aurélien Viers a dit…

Bonne question, c'est bien tout le problème de l'info chaude. La règle absolue, c'est de ne pas diffuser une info dont on n'est pas sûr...même si la tentation est grande. L'impact en terme d'image pour une rédaction qui diffuse une fausse info est toujours désastreux...

Anonyme a dit…

Le cas Florence Schaal le rappelle tristement...